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Vieux 02/06/2008, 00h02
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Chapitre 10 : Tous les chemins ménent à Rome



Rome et son périph bouché par les char à boeufs (enfin là, c'est dimanche)


Le temps du retour vers Rome était venu. Plus de 6 ans d’absence obligeaient maintenant l’Empereur à regagner le cœur de l’empire, et aucun danger ne pouvait légitimer plus longtemps sa présence aux frontières. La rébellion de Cassius avait pris fin, l’Arménie avait été provisoirement délaisse par les Parthes, et tout semblait indiquer que les Barbares ne feraient plus d’incursion au sud du Latium.
S’il ne pouvait donc différer son voyage, Marc Aurèle imposa un passage par la Grèce, où il espérait prendre un peu de temps pour rencontrer les philosophes athéniens, déambuler parmi les constructions magistrales de l’Acropole et retrouver un peu de sérénité. La mort de Faustine semblait l’avoir terriblement abattu, au point que les quelques 4 années qui lui restait à vivre semblaient, médicalement, inespérés.
Le voyage vers la Grèce prit bien moins de temps qu’à l’aller. N’ayant plus besoin de nous déplacer avec de lourds contingents armés, nous partîmes en équipage léger, laissant la fin du printemps nous pousser à travers la Syrie, tandis que nous faisions quelques haltes symboliques, à Antioche, Tarse ou Smyrne.

Bien que l’accueil se révéla généralement plus naturel que l’année précédente (l’absence des Légions, certainement…) je ne pus que constater un phénomène nouveau pour moi, qui ne connaissait finalement pas très bien l’Orient. Les sectes chrétiennes, sur le compte desquelles courraient les pires des horreurs, semblaient prospérer dans la région, alors que cette religion restait encore assez souterraine à Rome même. Des lieux de prière avaient été édifiés pour leur culte, tranchant particulièrement avec le faste que nous avions à servir les dieux du Panthéon. Marc Aurèle se révéla durant le voyage très critique quant aux us et coutumes des chrétiens, qui refusaient ainsi toute la lumière apportée par Rome.
Enfin, au cœur de l’été 176, nous entrâmes enfin à Athènes, laissant derrière nous les étapes les plus épiques de notre voyage. Si l’année précédente nous nous étions contenté de passer un peu plus au nord, j’avais là l’opportunité de retrouver des pans de mon passé, dont les souvenirs, au contact des lieux qui avaient bercé mon enfance, pouvaient enfin refaire surface.



Du haut de l'Acropole, 7 siécles nous contemplent


Marchant dans les ruelles de la vieille Athènes, je pouvais un peu oublier les événements de l’année passée, détachant enfin mon esprit des manigances de Schnickeon. Celui-ci s’était révélé particulièrement discret depuis notre affaire commune à Alexandrie, et c’est non sans une certaine joie que j’écoutais les ragots, toujours coutumiers à la Cour, parler des difficultés de Schnickeon pour garder son emprise sur Commode.
La lutte d’influence était le sport favori des intrigants romains, et Marc Aurèle n’avait pas fait mystère que son fils serait appelé à régner après lui. Schnickeon avait réussi à s’imposer auprès de Commode, ce qui s’était traduit par quelques cadavres abandonnés le long de la route qui nous avait conduit de la Grèce à l’Egypte. Il lui fallait maintenant consolider un peu plus sa position, alors que de nouveaux favoris louvoyaient autour de Commode.
Perennis, déjà présent depuis plusieurs mois dans cette longue suite, semblait l’étoile montante du régime qui se mettrait en place avec l’avènement du fils de Marc Aurèle. N’hésitant pas à prostituer son fils Chal, qu’il envoyait directement dans le lit de Commode, Perennis disposait d’un atout supplémentaire face à Schnickeon, qui pouvait difficilement rivaliser avec la jeunesse de Chal. Le climat de guerre larvée qui s’instaurait depuis quelques temps autour de la personne de Commode n’avait rien de feutrée, maintenant que Schnickeon avait pris toute la mesure du danger représenté par Chal et Perennis.

J’avais malheureusement bien conscience que je pouvais constituer une carte dans le jeu de Schnickeon depuis que celui-ci me tenait, restait à savoir quand et comment cela allait se concrétiser. Avec un peu de chances, Schnickeon ferait partie de la prochaine charrette de victimes, et la pression qu’il exerçait sur moi disparaîtrait aussitôt. Enfin cela restait une prière assez vaine, car j’avais pu observer comment le machiavélisme de Schnickeon lui permettait d’échapper aux embûches et de manipuler tout son entourage, à commencer par le fils de l’empereur.

Tandis que le début de l’automne s’étendait sur la Grèce et que Marc Aurèle s’initiait aux Mystères d’Eleusis, je me rendais dans les entrepôts où je savais que mon frère Chazam faisait fleurir son commerce. Je ne l’y trouvais pas – ce qui m’étonnait guère, le sachant certainement quelque part au bout du monde, à négocier tel ou tel objet dans des quantités pharaoniques – mais constatait une activité fonctionnant au ralenti.
Les assistants de Chazam me pressèrent de questions sur lui dés qu’ils apprirent qui j’étais, ce qui ne lassa pas de m’inquiéter. Désappointés d’apprendre que je n’avais pas eu de nouvelles de mon frère depuis que je l’avais croisé au nord d’Athènes un an plus tôt, ils me racontèrent ce qu’ils savaient.

Apparemment le voyage organisé par Chazam en Judée afin d’y faire du négoce avait tourné court, ou plutôt avait, à un moment ou un autre, sérieusement dérapé. Au bout de quelques mois, inquiet de ne pas avoir de nouvelles de leur patron, qui n’avait donné aucun signe de vie alors qu’il envoyait habituellement un nombre impressionnant de messages, de consignes et d’ordres divers, les assistants de Chazam avaient commissionné l’un des leurs afin de retrouver sa trace à travers les terres de Judée et de Samarie.
Il s’avéra que si le bateau sur lequel avait embarqué Chazam était bien arrivé à destination à Césarée, les contacts avec lesquels il devait négocier dans la région ne l’avait jamais vu. Certaines sources affirmaient bien avoir entendu parler d’un dénommé Chazam le Grec, mais ses pas semblaient s’être perdu quelque part du côté de Jérusalem. Après plusieurs semaines de vaines recherches et d’une enquête infructueuse, le négociant envoyé par les siens était revenu à Athènes, sans en avoir découvert plus. Depuis, se lamentaient les assistants de Chazam, l’activité avait considérablement freiné, les hommes étant dans l’incapacité de reproduire le génie aventureux de leur patron. Non seulement plus aucun nouveau contrat n’avait été mis en place depuis des mois, mais en plus le travail initié par la poigne de Chazam se heurtait maintenant à l’absence de celui-ci. Me montrant ainsi quelques ballots qui attendaient dans un des entrepôts, un assistant me confirma que de par sa jeunesse et son courage, Chazam s’était fait connaître jusqu’aux limites de l’empire, et que des hommes biens plus âgés que lui étaient incapables de faire preuve du charisme qui l’animait.
Sans Chazam, son commerce commençait dangereusement à péricliter. Assistants et négociants avaient attendu le plus longtemps possible, espérant un retour du jeune prodige, mais la désolation qui pouvait se lire sur mon visage enterrait tous les espoirs. La débandade sonnait, et les commerçants ne tarderaient pas à lâcher définitivement le commerce autrefois très lucratif mis en place par Chazam.

Follement inquiet pour mon jeune frère, mais ne sachant par où commencer une recherche qui jusque là avait été infructueuse, je rongeais mon frein, attendant impatiemment que Marc Aurèle lâche son étude de religions de bonnes femmes et daigne mettre le cap sur Rome.
Enfin le moment arriva ou l’empereur, certainement épuisé par tout ce qu’il avait pu vivre à Athènes, décida que nous devions retourner à Rome.
Alors que nous embarquions tous sur le bateau qui devait nous emmener à Brindisi, je ne jetais qu’un regard troublé sur les collines grecques. Ce fut pourtant la dernière fois que je vis ma patrie.
S’ensuivirent quelques jours de navigation, puis trois longues semaines nécessaires pour remonter toute la péninsule italienne. Le voyage nous emmenait vers le Triomphe organisé à Rome pour Marc Aurèle, absent depuis 7 ans, et son fils Commode, qu’il souhaitait nommer Consul.



Le tour du Monde en 2550 jours


La route fut longue, comme je vous l’avais déjà raconté au début de ce récit, et ce que je vis du Triomphe à Rome emplit mon cœur de peine, à voir un vieil empereur marcher à pied alors que son fils récoltait toute la gloire, fanfaronnant sur son char. Mais mes pensées étaient tournées ailleurs, vers l’homme qui venait de se présenter à moi dans la tribune que j’occupais, et d’où j’observais le pathétique spectacle d’une fin de règne.
L’homme était plutôt de taille moyenne, et portait sous sa toge un bien étrange vêtement, non par sa couleur ou sa matière, mais par le motif qui y était cousu.

« - C’est un hydre, j’ai acheté ce vêtement lors d’un voyage en terre Parthe, il y a de cela des années, cela remonte à ma jeunesse, avant que ce bonhomme ne naisse !

Et l’homme passa sa main dans la touffe de cheveux du garçon qui l’accompagnait, et qui ne perdait pas une miette du spectacle qui se déroulait plus bas.

Je portais mes yeux sur l’homme qui était en face de moi, et qui pour me saluer, me prit le poignet dans sa main droite. Je faisais de même.
-Tu es l’enquêteur dont on m’a tellement parlé ?

L’homme se redressa, fier que sa renommée soit allé jusqu’à l’entourage de l’Empereur.
-Oui, parfaitement ! Lucius Coelius, pour te servir. Et voici l’un de mes fils, qui j’espère prendra ma succession quand il sera plus vieux. N’est-ce pas, Jmlus ? »

Complètement insensible à la main de son père qui s’attardait sur sa chevelure débordante, Jmlus continuait à s’émerveiller devant le spectacle impérial.
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Vieux 02/06/2008, 00h52
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C'est mignon à cet age !
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Vieux 02/06/2008, 07h29
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Vieux 02/06/2008, 10h00
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Marc Aurèle n'est vraiment pas pressé de rentrer à Rome : il part d'Egypte en mars, à l'orée de la saison navigable : il attendait le beau temps et en quelques semaines (disons en mai), il aurait pu être à Rome en voyageant par mer.
C'est vrai que la navigation est toujours aléatoire en ces temps, mais c'est indicatif : jamais au début de l'Empire, un prince n'aurait osé s'absenter aussi longtemps de Rome de crainte d'une fronde du Sénat et d'une usurpation. Dans un siècle, Rome aura perdu presque toute importance politique...

Sinon, pour Schnickeon, les lions ou le bain d'huile bouillante ?
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Ce sont les événements qui commandent aux hommes et non les hommes aux événements.
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Vieux 02/06/2008, 10h13
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Trés juste, d'autant plus que sa déjà trés longue absence aurait nécéssité sa présence rapide. Qui plus est, aprés cette marche triomphale du port de Brindisi jusqu'à Rome, Marc Auréle a encore pris le luxe de ne pas s'installer dans les Palais du Palatin (donc à l'interieur de Rome) mais à Lavinium (une petite ville quelques kilométres plus au sud de la capitale)
De là à voir un empereur qui fuyait Rome... (sur un régne de 19 ans, il en aura passé prés de 15 aux frontiéres, principalement à lutter contre les menaces barbares. Pour certains historiens, le début du déclin de Rome date de son régne, avec des secousses qui donnent une idée des invasions qui surviendront de plus en plus souvent, jusqu'au saccage final de Rome au Véme siécle)
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Vieux 02/06/2008, 10h59
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Envoyé par marlouf
Qui plus est, aprés cette marche triomphale du port de Brindisi jusqu'à Rome, Marc Auréle a encore pris le luxe de ne pas s'installer dans les Palais du Palatin (donc à l'interieur de Rome) mais à Lavinium (une petite ville quelques kilométres plus au sud de la capitale)
Est-ce qu'il n'y avait pas une disposition qui interdisait aux généraux victorieux de rentrer dans Rome avant leur triomphe ?
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Vieux 02/06/2008, 11h09
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Est-ce qu'il n'y avait pas une disposition qui interdisait aux généraux victorieux de rentrer dans Rome avant leur triomphe ?
Bonne question !
Mais à l'époque impérial, je ne pense pas que cela concernait l'Empereur(d'autant plus que Marc Auréle avait mis là les grands plats dans les grands : dés son arrivée en Italie, il s'était vétu de sa toge et avait laissé tombé la cuirasse, et apparement l'armée qui le suivait avait fait de même )
Qui plus est, dans l'enceinte même de Rome, Marc Auréle avait été acclamé Imperator par ses troupes, plus d'un mois avant le triomphe proprement dit.

Apparement, c'était plus un geste trahissant la lassitude de l'homme (que les épreuves avaient considérablement vieilli)
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Vieux 02/06/2008, 11h34
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Sinon, pour Schnickeon, les lions ou le bain d'huile bouillante ?
Machiavel n'en a pas été victime à ce que je sache et à Rome, les intrigues étaient également monnaie courante... L'intelligence aura raison de la force brute
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Vieux 10/06/2008, 14h26
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Chapitre 11 : Schnickeon, Chal et Perennis, de l'Affrontement des Favoris


Je reportais quelques instants mes yeux sur le Triomphe qui s’étendait plus bas, impérial. J’avais constaté, amer, que Schnickeon en faisait parti, suivant de quelques pas le char où trônait Commode. J’avais également remarqué un visage impavide qui était loin de m’être inconnu, et même si j’avais espéré me tromper, du fait de la distance qui me séparait de la procession, l’armure et le casque étaient bien celui de Julius Sentencius. Le centurion avait certainement fini sa sordide tâche, même si les rumeurs, encore plus insistantes maintenant que l’on était à Rome, affirmaient qu’un jeune inconnu, certainement un fils adoptif ou l’un des enfants illégitimes d’Avidius Cassius, avait réussi à échapper au massacre qui avait touché tous les membres de la famille du général.

A mes côtés, Lucius Coelius regardait lui aussi le spectacle, un léger sourire aux lèvres – je ne savais pas si je devais y voir du sarcasme ou de l’admiration. L’enquêteur était bon, et déjà de nombreux notables lui avaient confié des missions requérrant un minimum de discrétion dans une ville aussi bavarde que Rome. De plus – et c’était là ce qui avait emporté ma décision – l’homme avait déjà voyagé pendant de nombreuses années en Orient, j’espérais donc que la connaissance qu’il pouvait avoir des peuples de Judée Samarie lui permettrait rapidement de retrouver la trace de mon frère Chazam, disparu 1 an plus tôt.



Une poignée de soldats triomphants passant sous l'arc de Titus


Tandis que son fils Jmlus restait sur place, les yeux grands ouverts et les cheveux en bataille, j’entraînais Coelius sous les arcades afin de lui donner toutes les informations qui pouvaient lui être d’une aide quelconque. Si nous étions d’accord que Chazam avait disparu aux environs de Jérusalem, Coelius estimait que son enquête devait débuter à Césarée, le port ou mon frère avait débarqué. Alors que je poussais Coelius à aller directement au cœur du problème, celui-ci me fit sagement remarquer qu’après plusieurs mois, la piste avait largement eut le temps de refroidir et que quelques jours de plus n’y changeraient rien. Coelius espérait surtout trouver des éléments expliquant la disparition de Chazam quelques jours en amont, alors que ce dernier effectuait le voyage entre Césarée et Jérusalem.

L’homme m’avait été chaudement recommandé, mais je découvrais là un homme honnête, patient, et qui s’annonçait méticuleux. J’avais toutes les chances de mon côté pour pouvoir retrouver Chazam. Tandis qu’une bourse pleine passait de ma ceinture à la sienne, je faisais une prière silencieuse aux dieux afin qu’ils guident Coelius sur la bonne voie.

Une semaine s’écoula, et j’imaginais déjà Coelius voguer sur la Méditerranée, quand vint l’heure du second triomphe pour Commode, moins formaliste mais tout aussi important que celui qui avait fêté la victoire de Marc Aurèle sur ses adversaires. Le petit morveux n’avait pas encore fêté ses 16 ans que son père lui offrait le titre de Consul, marquant par là même sa décision que son fils lui succéderait – ce qui était tout sauf évident pour le régime que nous connaissons .
L’année 177 commençait ainsi sous de bien mauvais augures, même si le plébéien de base se félicitait sottement de la décision du vieil empereur.
Je devais admettre que les choses avaient été faites en grand, et l’association de Commode aux victoires de son père laissait chez tous l’image d’un adolescent courageux et amené à rajeunir et revitaliser l’Empire. Le cadeau impérial que reçurent tous les Romains avait également largement favorisé la liesse qui s’étendait à toute la ville : après 8 ans d’absence, et pour fêter son retour et la position occupée par Commode, Marc Aurèle avait fait distribuer 8 pièces d’or, soit 800 sesterces, à chaque citoyen.

Un matin, un esclave apporta chez moi un petit sac de cuir fermé par un cordon, provenant directement du Palatin. Je l’ouvrais, et y trouvais les 8 pièces qui étaient traditionnellement distribuées aux seuls plébéiens. Je prenais l’une des pièces entre mes doigts, sans comprendre pourquoi je recevais ce qui apparemment ne m’était pas destiné, avant de blêmir et de lâcher le tout sur le sol en marbre. L’un des pièces roula sur 2 ou 3 mètres, avant de s’échouer contre la bute qui surélevait la grande cheminée qui réchauffait toute la pièce. La pièce sembla hésiter quelques instants, avant de tomber avec un petit bruit mélodieux.
Je me rapprochais, regardant le côté face de la pièce, parfaitement visible. Je reconnaissais le visage de Faustine, qui semblait cerné de flammes : l’or renvoyait les reflets venant de l’âtre, dans une image qui m’épouvanta. Même disparue, Faustine était appelée à me hanter, me poursuivant dans mes rêves et même ici, chez moi. Je quittais la pièce, sachant qu’à mon retour l’un des esclaves aurait certainement fait disparaître ces pièces qui m’effrayaient tant. C’était la première fois que j’avais sous les yeux le résultat de l’un des souhaits de Marc Aurèle, décidé un an et demi plus tôt à Halala – ou plutôt Faustinopolis. Des pièces à l’effigie de Faustine avaient donc été frappées après sa mort, empêchant quiconque (et surtout moi) d’oublier son visage.



Oh qu'elle est ... euh... belle !


Mais comme elles étaient rares parmi l’incroyable masse monétaire sortant chaque année du Trésor Romain, je n’avais pas à chercher loin pour trouver l’instigateur de ce cadeau empoisonné : Schnickeon se rappelait à mon bon souvenir, affirmant par là que je lui étais toujours redevable. J’étais surpris qu’il s’intéresse encore à moi alors que l’affrontement avec Perennis et son fils Chal prenait une tournure des plus sérieuses. Commode devenu Consul, il n’y aurait la place que pour un seul favori, qui concentrerait entre ses mains un pouvoir potentiellement illimité. Chacun des coups qui étaient désormais portés à l’autre avait pour but non pas seulement de l’éloigner de Commode, mais de le discréditer, lui faire perdre la face et la vie.

C’est dans ce climat particulièrement étrange que débarqua à Ostie le gouverneur de Cappadoce, Venitius Varon. L’homme avait deux ans auparavant sauvé la mise à l’empereur en Orient, s’assurant de la fidélité de ses troupes et faisant tout pour que la révolte d’Avidius Cassius soit circonscrite à la seule Egypte. Sa venue sembla surprendre agréablement Marc Aurèle, tandis que le reste de la Cour était dans l’expectative, s’attendant à un nouveau coup tordu entre Schnickeon, Perennis et Chal. Les courants se faisaient et se défaisaient au rythme des victoires des uns ou des autres, dans un ballet se révélant mortel pour celui qui se trompait sur le sens d’où soufflait le vent.

J’eus la chance, comme beaucoup d’autres, d’assister à l’entrevue entre Marc Aurèle et Venitius Varon. Celui-ci était suivi d’un jeune homme qui m’était parfaitement inconnu, et que Venitius présenta en ses termes à Marc Aurèle :

"- Altesse, j’étais présent lors du repas où vous avez assuré ne pas rejeter la faute du général Avidius Cassius sur sa progéniture, sa famille ou l’un des quelconques membres de sa descendance. Cette promesse, vous l’avez également faite auprès des Sénateurs, et il n’est pas dit que je laisse par mon inaction votre parole être désavouée, à votre insu, par des comploteurs. Ce jeune architecte s’est jeté à mes pieds alors qu’il fuyait depuis plus d’un an une mort certaine, celle qui s’est abattue sur ses frères, ses sœurs, sa mère, à travers tout l’empire. Altesse, je vous présente le dernier fils du général Avidius Cassius, Caius Avidius, et j’espère que vous trouverez celui qui complote contre votre auguste personne, en vous défiant de la sorte."



Avant de construire ça, mange ta soupe ! (Avidius Cassius à son jeune fils Caius Avidius)


Quelques exclamations s’entendirent parmi les témoins, peu habitués à ce qu’un empereur se voit tenu un discours de la sorte. Je savais pourtant que Venitius Varon était certainement l’un des rares gouverneurs, peut être le seul, à pouvoir s’adresser de telle manière à Marc Aurèle : sa fidélité lui conférait une assurance et une liberté de parole que tous ne pouvaient avoir.
Tandis que Marc Aurèle digérait ces paroles, je m’attardais un peu sur les traits d’Avidius Caius. L’homme avait aussi de la trempe, après avoir fuit pendant des mois le glaive de Julius Sentencius, de se jeter ainsi dans la gueule même de l’ennemi. Mais c’était particulièrement judicieux, puisqu’il venait rappeler les paroles proférées par l’empereur et qui avaient été démenties par la suite - se plaçant ainsi sous sa justice, mais surtout celle de Rome, seule à même de le sauver. C’était très bien joué, et celui qui s’avéra un jeune architecte pu ainsi commencer sa carrière pour le bien de Rome, à construire cirques et amphithéâtres, une fois absout des fautes de son général de père.

Dans l’entourage de Commode, à quelques mètres l’un de l’autre, Perennis et Chal jubilaient tandis que Schnickeon présentait un visage livide.


Sauras tu retrouver qui s'ennuit et n'a plus d'amis ?
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Vieux 16/06/2008, 01h22
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Chapitre 12 : Des qualités du jeune Caius Avidius, futur bâtisseur


La révélation faite par le gouverneur de Cappadoce, Venitius Varon, eut des conséquences directes sur l’entourage de Commode. Marc Aurèle, a qui il avait été fait le grief, en public, d’avoir au mieux été dans l’ignorance de l’assassinat commandité sur la famille du général Avidius Cassius, sinon d’avoir délibérément menti, ne pouvait laisser un tel fait entacher une réputation qui jusque là était sans faille. Je découvrais ainsi dans l’intimité un homme finalement assez soucieux de l’image qu’il laisserait dans la postérité. L’égo un tant soit peu exacerbé de tout homme ayant dans ses mains la destiné d’un Empire et de ses 70 millions de sujets ? Ou le philosophe qui ne voulait pas que les actes de toute une vie, appelés à être commentés par ses successeurs, ne soient jugés à l’aune de ce qui révélait, certainement, d’une faute ?

Même au service de cet homme, je n’eux jamais la certitude qu’il fut responsable ou non, directement, des nombreux décès ayant frappé la famille Cassius. Mais le déballage public qui avait suivit l’affaire obligea l’empereur à s’excuser auprès du dernier fils du général, Caius Avidius. L’affaire pu être arrangée par la conclusion d’un contrat visant la réfaction de bâtiments publics à Rome même, et dont Avidius se vit chargé par cooptation impériale. J’eus l’occasion par la suite de me trouver quelques fois en contact avec le jeune Avidius, et l’image qu’il me laissa était particulièrement mitigée. Le jeune architecte était talentueux, certes, mais ses qualités humaines bien plus discutables. Faisant peu de cas des ouvriers qui travaillaient sur les chantiers, il accélérait sans cesse les constructions, rognait sur les coûts et la sécurité, ce qui se traduisit par un nombre anormal d’accidents mortels lors des travaux. Sa réputation fut bientôt faite et Avidius vit rapidement le nombre de travailleurs libres travaillant sous ses ordres chuter, au point qu’il dut avoir recours à un nombre important d’esclaves pour colmater les accidents et les départs.

Chose étrange également chez un homme venant d’une famille illustre - bien que le nom du général ait été effacé des édifices suite à sa sédition – était cette passion que le jeune Avidius semblait avoir pour tout ce qui se rapprochait du monde de l’arène, des gladiateurs et du sable que l’on versait sur le sang encore frais sur la piste. C’était là une passion fort compréhensible pour la plèbe, qui trouvait là un exutoire à sa basse condition, mais bien plus rare chez les patriciens et les chevaliers romains. Les sénateurs continuaient bien à se déplacer dans l’enceinte du Cirque Flavien, mais c’était souvent par nécessité d’être vu, et il n’étaient pas rare d’en voir certains s’endormir sur les gradins tandis que la foule s’enthousiasmait devant une nouvelle hécatombe.



Avidius Caius regardant l'équivalant du Drucker local


J’avais de mon côté bien du mal à voir un quelconque intérêt à ces spectacles, ce que mon entourage mettait sur le compte de mon origine grecque. La vérité était bien plus crue : suivant Marc Aurèle durant ses 6 années de guerre sur les rives du Danube, j’avais eu sous les yeux une cohorte de blessés et de morts, peut être bien plus que tout autre chirurgien grec ou romain. Aussi voir des hommes s’entretuer pour le seul plaisir de pauvres hères qui emplissaient les cirques, cela dépassait mon entendement.

Avidius semblait donc particulièrement apprécier la vie qu’il menait à Rome, et jamais je n’entendis de sa bouche une quelconque plainte sur le sort qui avait touché sa famille. Je le soupçonnais rapidement d’avoir pris la fuite pour éviter le glaive de Sentencius, mais sans qu’il ait exprimé un quelconque regret quant au sort qui avait frappé ses parents ou sa fratrie.

Dans le même temps qu’il donnait d’une main, Marc Aurèle se vit dans l’obligation de sévir et le coupable fut tout trouvé : Schnickeon, le favori de Commode, celui qui prenait ses consignes du fils de l’empereur et faisait tout pour grader sa place auprès du futur héritier. Marc Aurèle montra là sa fine connaissance de la politique romaine, en n’agissant pas de manière frontale. Inculper Schnickeon aurait signifié discréditer Commode, or l’empereur semblait persister dans sa volonté de mettre sur le trône son fils, qu’il se révèle un incapable, un intrigant ou un assassin. L’homme vieillissant s’était mis des ornières, considérant que la légitimité de ses successeurs était la seule à même d’éviter de funestes écarts, comme avait pu l’être la rébellion du général Cassius.

Le lendemain de l’entrevue entre Venitius Varron et Marc Aurèle, une accusation insistante filtrait des palais du Palatin, mettant en cause le passé de Schnickeon et l’enrichissement démesuré fait sur le dos de l’Empereur et de ses sujets. Il était monnaie courante que des proches des empereurs s’enrichissent ainsi, et on gardait encore à l’esprit les fortunes démesurées des plus connus, comme Sénèque et ses 300 millions de sesterces, un siècle plus tôt. Schnickeon n’avait pu faire une telle razzia sur le trésor, mais les premières estimations parlaient d’une fortune acquise de plus de 40 millions, une somme scandaleuse sachant l’état de dénuement dans lequel était arrivé le proxènete grec 2 ans plus tôt.

Marc Aurèle pressa alors Commode de mettre un terme à la rumeur qui enflait et qu’il avait sciemment initié dans l’un des bureaux de travail de son palais. Son fils, qui perdait contenance de jour en jour, se sépara alors de Schnickeon et l’on vit se dernier, un matin, quitter la colline du Palatin avec or et bagages, amenant avec lui un nombre impressionnant de partisans qui s’étaient trop longtemps mouillé à ses côtés pour rester à la Cour une fois sa disgrâce venue. La procession se délita néanmoins rapidement, les courtisans s’égayant comme des moineaux pour fuir Rome et le destin fatal qui devait certainement frapper Schnickeon. Ce dernier se retrouva rapidement seul, flanqué seulement de quelques hommes de main, avec l’interdiction de quitter la ville le temps qu’une enquête se penche sur ses agissements.



La procession quitte le Palatin ? Hop, un regard derriére, on est pas sur de revenir ...


Des fenêtres de sa suite, Perennis avait du assister avec délice au départ de son rival. Schnickeon écarté, et avec son fils Chal dans les draps de Commode, Perennis s’était offert la place de favori et les espérances qui allaient avec.
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