Discussion: AAR Imperium Romanum
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Vieux 29/06/2008, 19h59
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Chapitre 13 : Où Otto reçoit un invité peu orthodoxe



Au bout de quelques semaines, Rome bruissait encore de l’humiliation infligée à Schnickeon, tandis que la multitude, l’échine courbée, se pressait autour de Perennis, espérant ainsi s’attirer les grâces du nouvel homme fort de Commode. Le peuple ne s’était pas trompé, depuis sa nomination comme Consul, Commode s’exerçait à ce qui serait bientôt sa future tâche. Comme en retrait, son père Marc Aurèle consacrait tout son temps à l’écriture de ses mémoires, semblant se désintéresser de ce qui se passait dans l’Empire. Et pourtant les nouvelles semblaient alarmantes de tous les côtés : les Parthes semblaient vouloir de nouveau faire ingérence dans le gouvernement proromain mis en place en Arménie, tandis que les barbares refluaient de nouveau sur les rives du Danube, après seulement quelques années de paix.
Tout cela me laissait de marbre. J’avais même complètement évacué de mon esprit le souvenir de Schnickeon et le chantage qu’il exerçait sur moi. Je ne songeai qu’à Coelius, dont je n’avais plus de nouvelles depuis plusieurs mois, depuis qu’il était parti en Palestine pour retrouver la trace de mon frère Chazam. J’envoyais chaque semaine un serviteur au domicile de Coelius, espérant chaque fois obtenir des nouvelles… il n’y en avait jamais. La femme de Coelius, BenArtistim, était morte d’inquiétude, tant pour son mari que pour son fils, Jmlus, qui avait accompagné son père dans son périple. Pour le former, avait-il dit, mais je commençais à penser qu’il avait mal évalué l’éventuel danger du voyage.

La vie à Rome continuait son lent cheminement, semblant éviter les aléas de ce qui se passait tout autour. Nous fûmes les derniers à entendre parler d’une épidémie de peste qui s’étendait à travers l’Egypte et menaçait, en emportant tous les travailleurs de la région, l’approvisionnement en blé de la capitale. Nous fûmes également les derniers à apprendre la recrudescence de violence qui touchait la Palestine et qui n’était pas du, cette fois, aux Juifs, mais aux Chrétiens.

Une nuit, un serviteur vint me réveiller pour m’annoncer qu’un visiteur tambourinait à la porte de l’insula. Mes hommes avaient beau avoir menacé de l’assommer si c’était le seul moyen pour le faire taire, il insistait pour me voir et affirmait que je le connaissais. Il n’avait bien entendu pas divulgué son nom.

Je passais une dague à mon côté et demandais à mes hommes de fouiller le visiteur, et de se tenir prêt à intervenir s’il se révélait dangereux. Cette manière si brusque de me tirer de mon sommeil était certainement signée Schnickeon.
Tandis que j’attendais dans le patio, sous la surveillance d’un serviteur, le visiteur entrait et, une fois assurée de son inoffensivité, se présentait à moi. Il semblait bien trop menu et trop petit pour être Schnickeon, mais il pouvait toujours s’agir de l’un de ses hommes. Quand je pu distinguer son visage, à la lumière d’une torche, je me rendais compte qu’il s’agissait non d’un enfant, certes, mais d’un adolescent, qui ne m’était pas inconnu. Et cette chevelure … je me jetais aussitôt sur lui, maintenant que j’avais reconnu Jmlus, le fils de Lucius Coelius. Le garçon s’était épaissi et avait gagné en stature, on pouvait déjà deviner l’homme qu’il serait plus tard. Son visage était presque noir, de poussière peut être, ou d’une année passée sous le soleil brûlant de l’Orient. Son regard, surtout, s’était affirmé, et j’y distinguais des éclats de dureté .Il était loin, l’enfant aux yeux papillonnant qui ne pouvait détacher son regard du Triomphe organisé un an plus tôt …
Si sa voix, qui terminait tout juste de muer, décrocha chez moi un sourire instinctif, les nouvelles qu’il m’apportait m’étourdirent au point que je dus m’asseoir pour encaisser toute l’histoire.

Coelius avait donc embarqué à Ostie avec Jmlus, et tous deux avaient vogué d’abord jusqu’au Pirée, afin de suivre le chemin exact de Chazam à son départ de Grèce. La situation sur place s’était dégradée, et la quasi totalité des apprentis de Chazam avaient abandonné le navire avant la faillite qui était inéluctable. Ils avaient ensuite accosté à Césarée, en Judée Samarie, et remonté le chemin jusqu’à Jérusalem, là où sa trace s’était perdue. Si Coelius avait rapidement compris qu’aucun négociant n’avait jamais vu Chazam sur place, il lui avait fallu des trésors d’ingéniosités pour dépasser les problèmes de la langue, de la religion et des cultures différentes pour progresser dans son enquête. Les résultats étaient là, épouvantables : Chazam était bien en vie, certes, mais son penchant déjà prégnant pour la liberté face au poids du monde romain l’avait fait franchir le Rubicon : plongé dans un monde étrange, dans un vaste chaudron de cultures cosmopolites se réclamant toutes bien plus anciennes que les Romains et même les Grecs, Chazam avait fait office d’éponge, emmagasinant toute la rébellion du monde oriental. Se voulant tout d’abord Juif, quand il avait contemplé les restes du dernier temple détruit à Jérusalem, il avait ensuite été conquis par le christianisme, y voyant certainement un exutoire à son rejet de Rome.



Rejeter Rome, c'est rejeter tous les bienfaits de l'humanité ...


Tandis que la gorge nouée, je réclamais à l’un des serviteurs une coupe de vin, que je coupais d’eau avant de la boire d’une traite, Jmlus allait de révélation en révélation. Effectivement la colère grondait en Palestine, où les Chrétiens avaient décidé de partir en guerre contre la moralité romaine. Cela ne devait pas m’étonner, connaissant le caractère aventureux de mon frère, mais c’était bien Chazam qui avait pris les rênes du mouvement, n’hésitant pas à appeler à l’insurrection contre Rome. Quelques crucifixions avaient remis de l’ordre sur place, et Chazam s’était enfuit, décidé à apporter la graine de la rébellion non plus aux marches de l’empire, mais au centre même.

Je m’exclamais aussitôt et interrompais le récit de Jmlus.

-Tu veux dire que mon frère est ici ? A Rome ?
-Non, il a repris un autre bateau à destination de Massilia, et il souhaite remonter ensuite jusqu’à Lugdunum.

J’étais complètement décontenancé. Qu’allait bien pouvoir faire mon frère en Gaule, et quel était le rapport avec sa nouvelle foi ?
Jmlus sembla saisir mon incompréhension et me glissa :

-Tu sais, je les ai entendu parler, et je pense qu’ils veulent se faire soulever les Gaules…

L’idée était grotesque, et je n’osai imaginer dans quel délire obscurantiste avait bien pu tomber Chazam. La Gaule avait été conquise 250 ans plus tôt, et la romanisation y avait été excellente. Tous les aqueducs de Rome pouvaient s’effondrer avant que la Gaule ne fasse sédition comme une quelconque province d’Asie.


Les futures pentes de la Croix-Rousse, surplombant Lyon, capitale des Gaules

Mais en y réfléchissant, l’idée n’était pas si ridicule, vu la place prépondérante qu’avait prise la Gaule dans l’économie romaine. Des révoltes en Arménie ou en Egypte étaient une chose, les menaces que pouvaient exercer les Barbares sur le Danube et les Gaulois de l’autre côté des Alpes en était une autre, bien plus grave, et menaçant directement Rome.
Mais qu’est-ce qui avait bien pu passer par la tête de Chazam ? J’étais atterré par cet histoire de conversion, tant les rites chrétiens nous faisaient horreur. J’avais entendu dire que chaque nouveau membre devait planter un poignard dans une épaisse couche de farine, dans laquelle était caché un nouveau né. C’était par cet acte ignoble que les Chrétiens croissaient, dans la culpabilité de chaque nouveau membre devenu un meurtrier de la pire espèce. Soudainement, je tiquais sur ce que venais de dire Jmlus.

-Tu dis que tu les as entendu parlé… de qui s’agissait-il ?
-Hé bien… de Chazam, et de mon père, entre autres ! me répondit Jmlus, en toute innocence.

Je tendais mon verre pour le remplir de nouveau, mais mes doigts tremblaient tellement que le verre m’échappa et se brisa sur le sol en mosaïques.

-Ton père… mais pourquoi va-t-il en Gaule ?
-Mais parce qu’il accompagne Chazam, tout simplement !

Et Jmlus de faire un mouvement d’épaules hautain, comme si tout allait de soi. J’eus soudainement envie de baffer ce mioche débile, qui semblait me prendre pour un crétin et en disait bien moins qu’il n’en savait. Je serrais les poings, et tentait de garder mon calme.


Sale gosse ! Une grosse tignasse cachant une tête creuse !

-Mais dis moi… tout cela a encore un rapport avec l’enquête que j’ai confié à ton père ?

Jmlus leva les yeux au ciel, avant de m’achever :

-Non, il y va car il croit en Chazam, tout simplement !

Tandis que j’étranglais mentalement Jmlus et ses « tout simplement », je réalisais avec horreur que les conversions chrétiennes étaient en marche : j’en avais un exemple devant moi.
Réponse avec citation