Discussion: AAR Imperium Romanum
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Vieux 08/05/2008, 00h18
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Chapitre 7 : Où Otto Grandpieos resiste (presque) au chantage


Le meurtre d’Avidius Cassius eut différentes conséquences immédiates, certaines concernant son meurtrier, Julius Sentencius, d’autres ayant trait à l’impératrice Faustine.
Cette dernière, dont la rudesse du voyage semblait déjà avoir amoindri la résistance, n’était plus que l’ombre d’elle-même depuis la disparition brutale du général rebelle.
L’attirance qu’elle avait développée chez moi, avait cessé du jour au lendemain, Faustine ne me faisant plus appeler que lorsque la fatigue la clouait dans sa litière. N’auraient été les ordres donnés par Marc Aurèle, elle aurait certainement évité tout recours à un médecin, surtout moi, qui connaissait désormais ses lourds secrets.

Dans le même temps – et ce fut la première fois que je vis Marc Aurèle faire un faux pas – le centurion Sentencius, maintenant directement rattaché à l’une des légions qui accompagnait notre équipage, s’était vu confier une mission de première importance par l’Empereur. C’est dans le plus grand secret qu’il quitta le lent cheminement de notre colonne, avec comme objectif Alexandrie. Si je ne savais pas vraiment de quoi il pouvait en retourner, Faustine eut tout le loisir d’échafauder des théories sur ce départ.
Je venais la visiter chaque matin afin de m’enquérir de sa santé, espérant la sortir de cette mélancolie dans laquelle elle s’enfermait un peu plus chaque jour. Le mutisme dont elle faisait preuve à mon égard, me reprochant ainsi les confidences qu’elle m’avait faites de son propre chef quelques semaines plus tôt, n’arrangeait pas la situation. Le bruit se répandit que même le médecin impérial ne pouvait plus grand-chose pour Faustine.

C’était bien sur là une des manœuvres de l’odieux Schnickeon, qui ne trouvait du plaisir que dans l’élaboration des complots les plus sordides, et excellait à jouer les corbeaux lançant les rumeurs les plus néfastes. C’était un fait, depuis quelques temps il me collait aux basques, ayant certainement supputé ce qui s’était déroulé avec l’impératrice. La mouche n’aime rien tant que de passer son temps à voleter dans le fumier, et ce Schnickeon se révélait le pire des parasites qui soit.
L’une des dernières visites que je fis auprès de Faustine fut certainement la pire que j’eus à endurer durant toute ma carrière. Nous nous étions arrêté à Halala, à proximité de la Syrie, et Marc Aurèle organisait le retour d’une grande partie des troupes qui l’avaient accompagné depuis les rives du Danube.

Craignant qu’au bout de quelques mois d’absence, les tribus des Quades et des Marcomans ne s’enhardissent et n’envahissent de nouveau le nord du Latium, les 4 légions devaient repartir pour la Germanie, tandis que lui-même ne comptait garder qu’un équipage plus clairsemé, mais tout aussi imposant, avec des légionnaires prélevés sur les légions de Syrie et de Cappadoce. La rébellion d’Avidius Cassius s’étant terminé assez rapidement, Marc Aurèle voulait mettre à profit sa présence en Asie pour y visiter les provinces de Syrie, d’Egypte, puis enfin la Grèce avant de revenir à Rome. L’Empereur n’y avait plus mis les pieds depuis 6 ans.



Un petit village d'irréductibles Germains résistant, encore et toujours, à l'envahisseur


C’est dans la demeure d’un notable de la ville que Faustine s’était installée, le temps que les affaires courantes soient traitées par l’empereur. Quand je rentrais dans sa chambre, je trouvais une pièce dévastée, les soieries recouvrant le lit déchirées et jetées dans un angle, et les miroirs qu’aimait à installer Faustine autour d’elle pour la plupart brisés. Un des éclats reposait dans la main de Faustine, ensanglanté, et l’impératrice éclata soudain en sanglots, se livrant pour une dernière fois. Elle ne pouvait pas, elle n’y arrivait pas, se donner la mort était trop lui demander. A voir l’estafilade qu’elle portait sur le poignet, ce n’était pas la résolution qui lui manquait, aussi j’appelais aussitôt quelques serviteurs afin qu’ils enlèvent tout ce qui aurait pu blesser Faustine. Je sais maintenant que l’un d’eux rapporta tout à Schnickeon, qui fut ainsi au courant de la partie la plus sordide de l’entretien.

Faustine était à bout, elle savait parfaitement ce que Sentencius était allé faire à Alexandrie : en finir avec le complot d’Avidius Cassius, extirper les racines du mal, dévoiler toutes les connections ayant aboutit à la rébellion. Les messages envoyés par Faustine à Avidius étaient nombreux, tous des documents plus compromettants les uns que les autres, écrits de la main même de l’impératrice, demandant à Avidius de prendre le pouvoir.

Avoir un mari philosophe est une chose, mais quand celui-ci est également empereur, il y a peu de chances qu’il regarde tout cela en stoïcien et arrive à faire la part des choses. Pour la survie de Rome et de l’Empire, Faustine serait certainement sacrifiée, comme tant d’autres l’avaient été avant elles. Répudiée, isolée sur un rocher de la méditerranée comme l’avait été la propre fille d’Auguste ou, pire, égorgée dans une prison comme Messaline, la femme de Claude, l’avenir – si Faustine en avait encore un – semblait des plus sombres.



La petite ville d'Halala, où l'on végéte. Sympa, les provinces romaines! Engagez vous, qu'ils disaient...


Aussi, chose incroyable, Faustine me demanda de l’aider, si j’avais un tant soit peu de compassion pour elle. Moi, un médecin des plus renommés, je devais certainement connaître également la science des femmes, le coté sombre des plantes, bref l’art de l’empoisonnement ! Et il est vrai que connaissant la plupart des antidotes aux poisons qu’il m’était arrivé de rencontrer, je connaissais aussi la composition de ces mêmes poisons. Je sursautais à cette demande qui hérissait tout en moi, se dressait contre tout ce que j’avais chéri, tout ce que je m’étais promis en quittant la Grèce. J’étais devenu médecin pour soigner et non pour emporter des vies, et même la compassion pouvait difficilement venir à bout de cette certitude. Alors que je refusais, encore sous le choc, Faustine changeait de tactique, utilisant la raison, puis le charme, avant d’essayer les menaces, promettant qu’elle révélerait tout de notre liaison à son mari. Tout se révoltait en moi, et l’envie de gifler la première dame de l’empire devenant trop forte, je quittais la pièce, sous une nuée d’imprécations ayant trait à ma virilité et à l’intelligence de ma descendance.

Les deux jours qui suivirent, je ne pus qu’observer le délabrement qui semblait affliger Faustine, ses tremblements qu’elle n’essayait même plus de camoufler et que la Cour mettait sur le compte d’une fatigue extrême. J’étais moi-même extrêmement partagé, me raccrochant au serment que j’avais prêté visant à aider tout malade, tout en voyant cette femme autrefois désirable tomber dans le crépuscule de sa vie. Le coup de grâce vint au terme de ces deux jours, quand une rumeur venant du sud nous apprit la mort brutale d’un des fils de Cassius Avidius, Avidius Maecianus. Le jeune homme exerçait la fonction d’iuriducus à Alexandrie, plus ou moins un Préfet d’Egypte. La rumeur insistait également sur la sauvagerie de l’assassin, un centurion gainé dans son uniforme et dont quelques témoins avaient pu deviner, avant de s’enfuir comme des moineaux affolés, les cicatrices qui lui barraient le visage.
Contrairement à sa parole, Marc Aurèle avait donc décidé de s’en prendre à la famille du général, renouant avec des habitudes d’un autre temps. Je fus profondément attristé par ce comportement qui tranchait avec l’empereur philosophe pour qui j’éprouvais le plus grand respect, et encore plus en voyant l’état de Faustine. Il faut croire que le besoin de survie était chez elle assez fort, et pourtant elle attendait le retour de Julius Sentencius qui, après le meurtre du fils Cassius, ne manquerait pas de ramener les documents qui l’incriminerait.



Au fin fond de la Mauritanie ou dans les marais du Nil, Sentencius honore toujours ses contrats...


Je me mis alors à penser aux poisons que je connaissais, des simples champignons aux décoctions plus élaborées que je devais exclure, comme le curare, qui nécessitait une piqûre intramusculaire pour pouvoir agir. Restaient la ciguë, la muscarine tirée de l’amanite tue-mouches, certains composés tirés de la macération de la rhubarbe et des épinards et qui pouvaient, à forte dose et au bout d’un long moment, provoquer la mort par perforation gastrique, l’aconitine, un poison utilisé au-delà de l’Indus et dont les plants se trouvaient facilement dans certaines montagnes, même si je n’en avait jamais vu jusque là, et enfin la belladone, bien sur. J’écartais cette dernière du fait de caractéristiques trop révélatrices (pupilles dilatées, plaques rouge sur le torse), ainsi que la plupart des poisons que je n’aurais pu concevoir au vu des plantes que l’on pouvait trouver dans la région.

Restait la ciguë, le poison utilisé par Socrate, que je pouvais facilement mettre au point et qui pouvait agir assez vite. Mélangée à de la datura afin de provoquer une paralysie respiratoire provoquant une mort presque instantanée, et à de l’opium afin d’entraîner la somnolence et éviter des spasmes trop violents, j’avais là un poison extrêmement rapide, mais qui ne ferait pas souffrir inutilement Faustine – et ne laisserait pas de marques. Je disposais déjà d’opium, utilisé parfois pour ses vertus narcotiques, et de datura, je mis néanmoins quelques heures pour trouver enfin de la ciguë à l’ombre de buissons. La plante, avec son odeur pestilentielle rappelant l’urine de chat, était facilement reconnaissable.



Socrate buvant stoiquement la cigue: "Farpaitement, ce pinard, c'est du Burdigala,
ou alors à la rigueur un Côtes de Lugdunum ! Hips.."



Je passais l’après midi a préparer la mixture, et obtenait un résultat que j’estimais convainquant. Un instant, je pensais à essayer la mixture sur un quelconque animal, avant de me rendre compte dans quelle voie je m’étais fourvoyée. Quelle que soit ma pitié pour Faustine, il m’était impossible de l’empoisonner, même si c’était là son vœu le plus cher. Aussi je pris la décoction et la vidait dans un petit réceptacle de nacre que m’avait offert ma femme un peu après notre mariage. J’enfouissais le tout parmi mes affaires, encore effondré à l’idée de ce que j’avais faillis faire. Coupable, je le fus plus encore par la suite.

Après une soirée que j’arrosais un peu trop, enfin vidé des pensées qui obscurcissaient mon esprit depuis des semaines, je tombais dans un sommeil profond, dont je fus sorti le lendemain par les cris qui agitaient le camp et des lamentations de bonnes femmes. Alors que me parvenait l’écho de la mort de Faustine, dont les serviteurs avaient retrouvé le corps sans vie au petit matin dans sa chambre, j’ouvrais de grands yeux, encore embués par l’alcool, sur la petite tablette à proximité de mon lit. Me narguant presque, posé à côté de son couvercle, s’y trouvait le petit récipient en nacre. Vide.
Réponse avec citation