Le Generalfeldmarschall von Aasen entra dans ses quartiers. Un jeune et fringant officier aux pantalons pendants l'observait avec appréhension. Voyant von Aasen s'approcher de lui, il lui tendit une liasse de papiers et de cartes que celui-ci prit en acquiescant de la tête, l'air grave.
Le rapport que lui avait donné le Hauptmann Goranson résumait la situation de l'Allemagne en ce décisif mois de novembre 1936. La situation était, aux dires de l'officier, désespérée. Tous les Kriegspiels qu'il avait entrepris en vue de prévoir les actions des ennemis du Reich ces prochains mois avaient pour résultat une défaite inexorable de l'Allemagne. Le Reichstag, prévenu secrètement de la grave situation, avait donné les pleins pouvoirs au vieux Feldmarschall pour la durée de 20 mois. von Aasen n'était pas un novice, mais il appréhendait une situation inextricable, il avait toujours été contre une campagne en Belgique en cette année avancée de 1936. La destinée de l'Allemagne reposait sur ses épaules en ce moment ...
Du monastère où von Aasen avait installé ses quartiers retentit un chant grégorien. Une goutte de sueur perla sur le front du vieux guerrier, il vissa avec fermeté un monocle dans son oeil gauche, et prit connaissance de la situation dans tous ses détails.
Au vu de la carte fournie par l'OKW indiquant l'emplacement des diverses forces de la Wehrmacht, von Aasen ne put réprimer un ricanement qui fit frémir de terreur le Hauptmann toujours présent. Une étude plus détaillée de la carte fit émettre un autre rire sardonique qui donna à Goranson l'impression peut rassurante de se retrouver seul avec un psychopathe de la pire espèce, un "bourrin" comme l'on disait vulgairement dans les quartiers mal famés au sein desquels il avait été élevé.
"Mais mon petiot, qu'est-ce que c'est que cette répartition des forces ? Deux divisions à la frontière hollandaise, deux autres à Kassel, quelques-unes à la frontière tchèque, comme ça, sans raison ! Alors qu'aucune troupe ne défend la Belgique, face à des dizaines de divisions françaises ! Qui défend tout ne défend rien voyons ! Regardez, réunissons ces troupes sur le front Ouest et nous avons une ligne de front correcte, qui nous permettra de repousser les Français si ceux-ci se décidaient à s'essayer à nous bousculer !"
"Mais Feldmarschall, et les Hollandais, les Tchèques, et .... et les réserves ?" balbutia le Hauptmann, sèchement interrompu par son aîné :
"On les emmerde ! Quand on a pas assez de troupes pour défendre un front, on n'essaye pas d'en défendre 3 à la fois ! Et les réserves, on ne les place pas à 100km du front quand elles ne sont pas motorisées !"
Goranson avala sa salive. Il aurait mieux fait de lire cette antiquité de Sun Tzu, comme son mentor le lui avait conseillé, se disait-il.
von Aasen continuait à se gausser des énormités qu'il avait sous les yeux :
"Ah ah, des divisions sans brigades, on a des hommes à revendre c'est ça ? ah ah. Bon, passons aux renforts, donnez-moi les commandes faites à notre industrie."
Goranson tendit les feuilles demandées à celui qui venait de réduire à néant son bel ordre de bataille. Il regretta vite de ne s'être pas excusé en prétextant un quelconque malaise en voyant que l'oeil caché par le verre du Feldmarschall virait au noir.
"Mais, mais, MAIS VOUS ETES COMPLETEMENT DINGUE !!!"
L'officier aurait voulu être muté dans l'industrie du fromage suisse (le travail le plus tranquille au monde) en ce moment précis.
"MAIS QUELLE BANDE DE TARES !!!! REGARDEZ-MOI CA !!!!! UN SITE DE MISSILES, LE TRUC LE PLUS CHER ET LE PLUS AXE SUR LE LONG TERME QUI EXISTE, SUR LA FILE DE PRODUCTION, ALORS QUE TOUS LES COMMANDANTS SUPPLIENT L'OKW DE LEUR ENVOYER DE LA BONNE INFANTERIE PAS CHERE A EQUIPER !!!"
Son interlocuteur était livide, il sentait l'envoi au front venir.
"Quelle cochonnerie mais quelle cochonnerie !" grommelait von Aasen, "allez hop 9 séries de 12 divisions 1936 en production, et 4 séries d'artillerie lourde aussi, on va essayer de combler les trous avec cette mobilisation ad hoc, non mais je vous jure, plus vu ça depuis Akmar moi, quelle loose ! Mais quelle cochonnerie, mais quelle cochonnerie !"
Voyant que son supérieur semblait avoir terminé de s'occuper de donner des ordres de production jusqu'en 1938, le Hauptmann Goranson lui tendit l'état d'avancement des recherches dans le Reich.
Le visage du Feldmarschall tourna au rouge. Remarquant ce signe qui préfigurait une animosité extrême, Goranson essaya d'arriver à une couleur transparente.
"QUOIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! DES RECHERCHES A DATE HISTORIQUE 1939 ALORS QU' ON EST EN 36 ?????????????????? MAIS QUEL GACHIS; VOUS NE VOUS RENDEZ PAS COMPTE QU'IL Y A DES PENALITES MONSTRUEUSES ??????"
von Aasen écumait de rage, couvrir son subordonné de postillons rageurs ne lui suffisait plus, il le rossait abondament avec son lourd bâton de maréchal maintenant.
"ET MEME PAS LA TECHNOLOGIE DE MACHINES-OUTILS I DE RECHERCHEE !!!!! MAIS VOUS N'AVEZ AUCUN SENS DE L'ECONOMIE OU QUOI ????"
Voyant que ses coups de bâton commençaient à entamer l'uniforme du Hauptmann, et sachant que cela rendait un peu trop visible son accès de fureur, von Aasen se contenta de modifier rapidement les ordres de recherche, abandonnant à contre-coeur des recherches déjà avancées, mais toujours encore contre-productives.
Le summum de la rage humaine fut atteint lorsque von Aasen découvrit les stocks de ressources et les compétences des ministres du gouvernement :
"MAIS IL Y EN A PAS UN QUI A UNE TETE CLAIRE LA-DEDANS !!!!! +15 pétrole /jour, VOUS CROYEZ QUE CA TOMBE DU CIEL LE PETROLE EN TEMPS DE GUERRE OU QUOI ??????" il s'empressa de remonter les importations de pétrole à 200 000 barils par jour. "ET LES MATIERES RARES HEIN ? NON MOSSIEUR VOTRE COLLECTION DE TIMBRES DE 1876 ET VOTRE MAITRE DE CONFERENCE NE TOMBENT PAS SOUS CETTE CATEGORIE ET N'ALIMENTERONT PAS NOTRE INDUSTRIE EN 1943 !!!!! ET REGARDEZ MOI CES MINISTRES ! ON SE CROIRAIT A LA FAC D'HISTOIRE !!!! +10% EN RECHERCHE D'INFANTERIE, MAIS ON S'EN BRANLE !!!!! IL Y EN A UN QUI DONNE +10% DE PP !!!"
Goranson était à terre. Avant cette entrevue, il espérait que von Aasen trouverait des erreurs à corriger, qu'il y avait une chance de rétablir la situation de l'Allemagne et qu'on pouvait faire encore mieux que lui. Mais une telle claque, non, il ne l'avait pas attendue. Il était pourtant sorti premier de la promotion TOAW et il pensait qu'il n'avait commis que très peu d'erreurs. Mais un gros plein de bière lui avait remonté les bretelles. Un oncle éloigné dont il ne savait rien jusque là parvint à le remettre aux commandes de l'état après expiration du mandat de von Aasen, le 1 juin 1938.
Le front Ouest était assez garni pour mener une offensive à grande échelle, le front Est n'attendait que l'amélioration des divisions autrichiennes nouvellement arrivées pour déclarer un statut similaire, la Luftwaffe avait récupérée 400 avions, l'Allemagne était leader mondial en recherche, les stocks de pétrole s'élevaient à 100 millions de barils, tendance croissante. Le Hauptmann Goranson avait tout ce qu'il fallait pour faire trembler l'Europe, et peut-être même le monde ...
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