VIII. Une dernière chance pour accomplir un rêve
Rome est en émoi, nos armées sont en déroute, les carthaginois peuvent déferler à n'importe quel moment en Italie, et pis que tout : personne ne semble capable de remplacer Granpiedus.
La mort du dictateur met fin à la suspension des magistratures... Trawnus est à nouveau consul (en réalité il n'a pas cessé de l'être, il a juste perdu son imperium et est devenu une sorte de subalterne du dictateur comme tous les autres magistrats). Le choix qui s'offre à lui : soit à nouveau demander la nomination d'un dictateur, auquel cas il serait presque certain de le devenir, soit procéder tout simplement à l'élection d'un nouveau consul et continuer comme si de rien n'était.
Mais Trawnus jusque là résigné à voir son rival de toujours, Granpiedus, triompher, semble voir dans cette situation catastrophique le moyen non seulement de se racheter, mais devenir le seul et unique sauveur de Rome. Son sang ne fit qu'un tour et il se rue vers Rome, laissant son fils ainé à Rhégium tenter de tenir aussi longtemps qu'il le faudra contre Carthage...
Trawnus savait qu'il avait le droit avec lui, et seulement le droit, pensant que le Sénat et la plèbe lui étaient hostiles. De ce fait il essaya d'être le plus discret possible, entrant à Rome en profitant de l'obscurité que la nuit lui fournirait, et rendant sa visite quasiment secrète... Mais ce secret ne saurait durer alors qu'il doit convoquer le Sénat pour un senatus consultum. Tout Rome est rapidement au courant que le consul se trouve dans les murs de la cité, et celui-ci craint d'enventuelles représailles, railleries ou autres.
Mais quelle ne fut pas sa surprise quand il vit les clameurs de joie que la plèbe manifestait. Partout dans la rue on n'entendait parler que de Trawnus, les théâtres de rue qui montraient Trawnus en train de botter les fesses des carthaginois en Sicile, au marché que la paix reviendra bientôt grâce à Trawnus et à Mars, dans les tavernes où l'on pariait déjà sur la date de la victoire contre l'ennemi d'outre mer, les matrones qui parlaient de ses conquêtes, toutes ses conquêtes !
Pourquoi une telle ferveur alors que tous semblaient l'abandonner trois ans plus tôt ?
La réputation d'un chef militaire à Rome vient de ses conquêtes, de ses exploits relatés par les crieurs publics, de la bonne volonté du Sénat, mais surtout des récits relatés par les vétérans !
Et ce sont ces vétérans qui vont lui forger au cours de ces trois années la réputation qu'il a aujourd'hui.
Certes il a été vaincu, certes ses deux légions ont quasiment été annihilées, mais les vétérans de la campagne de Sicile n'ont pas oublié la bravoure du consul, le fait qu'il n'ait jamais abandonné ses hommes alors que la moitié de l'armée punique le pourchassait et qu'il a tenté, certes sans grand succès, mais au péril de vie, de dégager les troupes encerclées. Il s'est débattu comme un diable pour ses hommes alors que bien d'autres auraient d'ores et déjà fui depuis belle lurette. Et tout ça, les maigres survivants des Vème et VIème légions ne l'ont pas oublié, et l'ont bien fait savoir à quiconque voulait bien les entendre, parfois contre quelques piécettes !
Et les hommes de cette trempe ne sauraient être détestés par la plèbe fascinée de ces récits qui semblent si exotiques et presque surréalistes. Le phénomène est tel qu'ils oublient que certains ont perdu dans cette bataille des parents, des proches, voire simplement des amis !
Mais si la plèbe savait entendre ce genre de récit, les patriciens eux étaient sourds. Qu'importe le courage si on perd une bataille et met toute l'Italie en danger -donc leurs propriétés par extension-... Ce qui importe c'est le résultat, la bravoure ou toutes ces choses-là ne sauraient venir qu'en compléments. D'ailleurs s'il était si brave, il aurait dû mourir avec ses soldats là-bas !
Mais le Sénat n'était pas aveugle ! Il vit bien que Trawnus semblait être devenu aux yeux de la plèbe comme le seul sauveur de Rome depuis la mort de l'illustre Granpiedus. Le Sénat savait bien que le consul avait le droit avec lui (enfin dans le récit hein... dans la réalité ça ne se passerait pas comme cela tout simplement parce que ce sont les consuls (ou un seul consul selon les cas) qui nomment les dictateurs, mais parmi les anciens consuls...), mais Rome a toujours su écarter le droit dans certaines conditions, pourquoi pas maintenant ?
Alors que Trawnus était encore en chemin bon nombre de sénateurs s'étaient presque entendus pour l'évincer. Par quel moyen en revanche on le savait pas encore, seul le consul pouvait nommer un dictateur, le Sénat lui ne pouvait que demander au consul d'y procéder (senatus consultum), avec éventuellement un nom proposé, mais qui ne liait pas le magistrat.
Restaient bien peu de moyens d'éviter que Trawnus, faute d'autre choix possible, ne devienne dictateur.
Il restait bien l'idée de le persuader de nommer un autre, notamment Curtisus préssenti pour être consul aux prochaines élections, mais l'idée semblait improbable : Trawnus ne rêvait que de gloire, lui promettre une retraite plus que paisible n'aurait servi à rien, de même que lui promettre une ovatio (petit triomphe pour les vainqueurs) pour ses victoires passées.
Ne restait alors qu'une solution pour éviter cela : liquider Trawnus avant qu'il ne rentre à Rome. Les sénateurs en grande partie ne voulaient pas d'un tel procédé et espéraient encore convaincre Trawnus tant qu'il en était encore temps. Et puis pour eux Trawnus est un adversaire, pas un ennemi à abattre.
Mais une poignée d'entre eux étaient persuadés que c'était la dernière solution, ou bien on le leur fit croire avec des pièces sonnantes et trébuchantes provenant d'hommes de hauts rangs que la mort du consul arrangerait bien, avant que Rome ne perde définitivement tout espoir avec un homme plus inquiété par une gloire qui l'aveugle que de protéger Rome et leurs biens.
Mais le consul étant entré dans le plus grand secret, et de nuit qui plus est, les conjurés ont perdu là leur plus belle occasion de se débarasser de Trawnus. La tâche sera ardue par la suite, le consul sera bien à l'abri et il ne sortira pas sans ses licteurs... Mais la liesse populaire achèvera ce projet, tuer le consul est devenu une entreprise risquée, et en cas de succès le doute planera forcément sur ses ennemis et ceux qui auront profité de cet état de fait, autrement dit Curtisus, et peut-être Sparfellus ou Leazus par la même occasion.
Il ne restait alors plus que la dernière solution pour éviter la dictature : ne pas procéder au senatus consultum... Si le consul était le seul à pouvoir nommer un dictateur, c'est le sénat qui en décidait l'opportunité.
Mais l'idée semble encore plus folle que de tenter d'assassiner Trawnus : l'armée punique est en vue de la cité de Rhegium et va bientôt se préparer au siège. Si les carthaginois attaquent la cité, ils en sortiront forcément vainqueurs, et après plus rien ne sera en mesure de les empêcher de conquérir tout le sud de l'Italie, piller et dévaster tout sur leur passage, et notamment ces si grandes et belles terres acquises récemment par les patriciens. Et uniquement un homme seul, un dictateur pourra empêcher cela avec les maigres forces dont Rome dispose encore. Refuser le senatus consultum et on a à nouveau deux consuls, et des dissenssions pouvant mener Rome à sa fin... Cette solution, tout le monde y répugne, même les plus grands adversaires de Trawnus qui se résignent à sa prochaine dictature qui durera jusqu'en -260.
Par désespoir le Sénat avait même tenté il y a peu une paix avec Carthage, mais rien n'y fait, le destin a voulu que Trawnus soit dictateur.
Ce n'est désormais qu'une formalité : le Sénat se réunis et demande au consul de nommer le dictateur... qui sera bien entendu Trawnus lui-même !
Mais pas le temps de célébrer son renouveau, Trawnus se hâte vers Rhegium avec tous les combattants qu'il a pu avoir en si peu de temps, soit l'équivalent de deux légions et demi... ce demi étant les derniers enrôlés à toute hâte, sans que l'on ait pu les préparer à combattre... ou à mourrir.
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Veni, vidi, loosi - Akmar Nibelung
Dernière modification par Akmar Nibelung ; 30/08/2007 à 19h01.
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